Adopt don't shop
— Léandre Michaelis & Whilelmina N. Hartwig —
Il n’aurait jamais pensé adopter un chat – du moins, pas pendant ses études. Un chat ça coûte cher, entre la nourriture, la litière, le vétérinaire, l’assurance, et les mille et un imprévus qui peuvent lui tomber sur le coin de la tête, mieux valait avoir un logement et un emploi stable avant de se lancer là-dedans. Mais des fois, le
cat distribution system se mettait en travers de tous ces beaux plans bien établis et prenait un malin plaisir à tout foutre en l’air à grands coups de ronrons et de douce fourrure.
Il avait déjà croisé le chat plusieurs fois dans les quartiers nord, pas loin de la librairie paternelle. Il était très beau, avec ses longs poils tricolores et ses yeux qui oscillaient entre l’ambre et le vert forêt. Et ce n’était clairement pas un chat errant. Son poil était trop lustré pour ça, il était trop propre et trop bien nourri pour vivre dans la rue. Mais au fil des jours, alors que l’été s’écoulait doucement, les choses avaient commencé à changer. Le poil très propre était devenu négligé, puis carrément sale, et l’animal avait commencé à perdre du poids. Léo, qui aimait beaucoup les chats et qui avait pris l’habitude de nourrir les félins errants autour de la bibliothèque, avait rapidement remarqué celui-là, qui lorgnait sur les gamelles mais qui n’osait pas s’approcher. Il lui avait fallu du temps pour lui faire comprendre qu’il n’allait pas lui faire de mal, et que sa main tendue n’allait pas le frapper, juste le gratter entre les oreilles. Au bout d’un mois, il avait suffisamment apprivoisé le chat pour que ce dernier cesse de fuir, se laisse caresser et se laisse porter – et il en avait donc profité pour l’emmener dans le refuge pour chats du quartier nord.
Il avait répondu à quelques questions avant qu’ils ne récupèrent l’animal, sans doute parce qu’ils voulaient s’assurer qu’il n’abandonnait pas son animal. Il n’avait cependant pas été dur de leur expliquer que le chat avait probablement été abandonné à la suite d’un déménagement et qu’il ne pouvait pas l’adopter lui-même vu qu’il n’était qu’un étudiant aux revenus modestes. Confortables, certes, vu qu’il travaillait comme un forçat en parallèle pour ne pas dépendre de son père, mais modestes quand même. Il leur avait laissé son numéro de téléphone, puis il était reparti avec un poids en moins sur la conscience. Les chats errants lui faisaient de la peine, mais ceux qui avaient toujours vécu dehors avaient plus de chances de survie qu’un domestique qui n’avait jamais eu à chasser sa nourriture. En plus il était très beau, et pas vieux. Il serait vite adopté.
Mais parce que ça le travaillait quand même beaucoup, il en avait parlé à sa famille, et il gardait un œil sur le site web du refuge. Le chat y était apparu, avec un tout nouveau nom – Moxie. Puis l’annonce avait disparu, avant de réapparaître trois semaines plus tard. Et disparaître à nouveau. Après ça, il avait repris les cours, et avait arrêté d’actualiser pour se concentrer sur ses études. Mais de temps à autres, l’alerte qu’il avait mise sur le site lui envoyait une notification – Moxie était de retour au refuge, et lui se battait avec sa conscience pour ne pas les appeler et leur dire qu’il voulait l’adopter. Le chat finirait par trouver sa famille, et lui ne pouvait pas se le permettre de toute façon… Mais quand le refuge l’avait appelé en début de mois, la réponse avait été immédiate.
« Je le prend. »Après trois mois passés entre refuges, familles d’accueil et adoptants, Moxie ne s’était jamais adapté. Il fuyait, il griffait, il attaquait pour se défendre, et le refuge n’avait ni le temps ni la place. Il avait donc été placé sur la liste des animaux à euthanasier, et toutes les belles résolutions de l’étudiant s’étaient évaporées. Il avait répondu sur un coup de tête sans même demander la permission à son père, surtout parce qu’il savait que ce dernier ne lui refuserait pas – il savait que son fils était assez responsable pour s’occuper d’un animal, même sur le plan financier. Il l’avait quand même prévenu après coup, puis prévenu sa cousine, invitant même cette dernière dans les courses chat, et elle avait immédiatement accepté. Alors ils étaient allés chercher tout ce qu’il fallait. Ca lui avait coûté assez cher, mais tant pis.
« J’espère qu’il va pas s’enfuir. Je veux dire, il a quand même été adopté et ramené six fois… »Finalement, le jour du rendez-vous était arrivé. Il en avait déjà eu d’autres, où on lui avait posé beaucoup de questions pour s’assurer qu’il avait les capacités de s’occuper du chat, et où on lui avait présenté Moxie pour voir si le courant passerait bien. Et étrangement, le chat ne l’avait pas oublié. Il s’était mis à ronronner extrêmement fort à chaque fois qu’il passait la porte, et se laissait caresser comme s’il le connaissait depuis la naissance. Et pour ce dernier rendez-vous, où il allait signer les papiers et payer les frais d’adoption et repartir avec le chat, il avait proposé à Mina de venir avec lui. Et cette dernière faisait preuve de beaucoup de patience puisque son cousin était en boucle depuis qu’ils avaient quitté Alféa à la fin des cours.
« Vu qu’on va dans un refuge, tu voudras aller voir les chats ? Interdiction de les pailleter, par contre. »Il esquissa un sourire taquin – Mina et les paillettes, c’était une grosse histoire d’amour. Et en plus, il savait qu’elle aimait autant les chats que lui et qu’elle ne passerait pas à côté de l’occasion de donner un peu d’amour à des animaux abandonnés.
« Pour, tu sais… Te donner des idées de cadeau de Noël… »Son sourire taquin s’étira un peu plus. Il n’avait pas oublié ce qu’elle lui avait dit par texto, quelques mois plus tôt – qu’elle aimerait bien un chat pour Noël. Maintenant, il restait juste à savoir si elle allait tenir avant Noël puisqu’ils se rendaient quand même dans un refuge félin…