ANECDOTES01. Adopté à la naissance,
Ludwig est élevé par les Rosenberg à Eraklyon, une famille riche aux us et coutumes bien marqués. L'éducation que son frère adoptif et lui reçoivent est stricte et difficile, et leurs parents les mettant en permanence en compétition, la relation entre les deux frères est particulièrement tumultueuse. Même quand Zephÿr commence à marquer du retard. Même quand il est évident, une fois leur magie déclarée, que le fossé se creuse. On lui a appris à montrer sa supériorité, il la crache comme un venin, s'empoisonnant lui-même alors que tout en lui souhaite se rapprocher de son cadet.
02. Durant la fin d'été 1995, juste avant ses 18 ans,
Ludwig apprend en écoutant aux portes que le choix de son adoption n'a été motivé que pour une raison de pouvoir. Les détails lui manquent, il a trop peu d'informations pour que ça puisse lui servir par la suite, mais ce qu'il comprend, c'est que sa famille biologique possède un pouvoir bien précis, un pouvoir que les Rosenberg désiraient, un pouvoir pour lequel ils l'ont acheté en échange d'une coquette somme, un pouvoir que lui n'a pas. Il est une
déception, en plus d'avoir été arraché à ses racines pour une raison qui lui semble absurde. Il n'en faut pas davantage pour qu'il fasse ses affaires et quitte le manoir dans la nuit, sans dire un mot à qui que ce soit, pas même Zephÿr.
03. Johan passe des semaines, des mois, à errer de royaume en royaume pour tenter de trouver une piste sur son identité, aussi mince soit elle, mais chaque nouvelle lueur d'espoir finit dans un cul-de-sac. Il enchaîne les petits boulots qui lui permettent d'avoir de quoi survivre avant de changer d'endroit, chaque nouveau lieu l'accueillant en même temps qu'un nouveau nom. Les noms, il en change comme il change de vêtements, tentant de trouver quelque chose qui lui plaise, qui lui fasse se sentir lui, qui les éloigne d'
eux. Il finit par n'utiliser que son prénom.
04. En décembre 1996, il a 19 ans passés d'à peine un mois quand il rejoint un groupe de chercheurs et chercheuses aux métiers variés. Des botanistes, des archéologues, des professeur·e·s en pleines études pour un livre, des personnes qui ne souhaitent qu'en apprendre davantage, sans but précis. C'est une petite communauté qui se déplace ça et là, au gré des besoins et des envies, qui se soutient, et qui voit ses membres partir pour que d'autres viennent à leur tour. Là, au sein de cette troupe, il se sent réellement chez lui pour la première fois. Personne n'attend rien de lui. Personne ne le juge. Dans sa quête d'une famille, pour la première fois, il se dit qu'il en a trouvé une. C'est auprès de ces personnes-là qu'il observe le métier de chacun·e, qu'il se forme réellement à sa magie à leurs côtés, qu'il prend le goût de l'écriture et de la narration, orale comme couchée sur du papier.
05. C'est au printemps de l'année suivante qu'
elle les rejoint. Elle, c'est Alanna, une demoiselle plus jeune que lui qui a quitté Magix, ses études et sa famille. Comme pour chaque âme qui les rejoint, personne ne pose de questions, et elle ne donne aucune réponse. Comme
Johan, elle apprend à exploiter sa magie auprès de leurs aîné·e·s et, inexorablement, les deux se rapprochent. D'où ils viennent, ce n'est pas important. Ce qui compte, c'est où ils vont. Ça, ils ne le savent pas encore, mais une chose est certaine : ils y vont ensemble.
06. Un an tout juste après son arrivée à lui dans le groupe,
Johan la demande en mariage, et elle dit oui. Si certain·e·s trouvent qu'ils vont vite en besogne, qu'ils brûlent les étapes, nombreux·ses sont celles et ceux à dire qu'ils ont raison, que s'ils se sont trouvés, alors ils n'ont pas de temps à perdre à faire semblant. Qu'ils doivent écouter leurs sentiments. Qu'ils aient tort ou raison, ce qui est certain, c'est que ça leur convient. C'est qu'ils sont heureux. Et ce qu'ils réalisent très vite, c'est qu'au moment de la demande, Alanna est enceinte. Alors on ne fait pas traîner la chose et le mariage a lieu au début du printemps : les seul·e·s invité·e·s sont les membres du groupe déjà présent·e·s autour d'eux; la cérémonie est présidée par un prêtre cherché dans la capitale du Royaume de Lynphéa dans lequel ils ont temporairement élu domicile. Au mois de Juillet 1998, la petite Evania voit le jour.
07. La haine qu'il connaissait jusque là, le dégoût de lui-même nourrit par son enfance et par ses années à suivre les idéaux et les envies de ses parents adoptifs, ils finissent par disparaître, ou en tout cas par finir noyés sous tout ce qui fait sa nouvelle vie. Aux côtés de sa femme et de sa fille,
Johan se découvre une patience qu'il ne connaissait pas, un rire dont il se croyait incapable, une aise pour les récits qu'il partage volontiers avec ses proches. Mais dans tout ça, il y a toujours des moments où quelque chose se tord à l'intérieur de lui. Ces moments où il repense à celui qui a subi, comme lui. Plus que lui. Zephÿr. De nombreuses fois, il hésite à lui écrire. De nombreuses fois, il le fait. Mais jamais il n'envoie quoi que ce soit. Les lettres restent cachetées dans un sac.
08. Le groupe continue ses voyages, et
Johan et Alanna élèvent Evania sur les routes. Presque quatre ans après la venue au monde de la petite, Alanna donne naissance en Mars 2002 à leur fils, Léandre, et le couple réalise que la situation ne leur convient plus. Ils ont beau aimer leur vie en l'état, ils ont besoin de stabilité. Alors ils s'installent à Magix où Alanna trouve une formation en journalisme, et Johan un petit boulot dans une boutique des galeries marchandes, profitant du peu de temps libre qu'il peut avoir entre son travail, ses enfants et son temps en tête à tête avec sa femme pour écrire un peu, et entamer son premier recueil de contes.
09. Quand la guerre fait rage, que Domino tombe, que les masques l'accompagnent,
Johan découvre l'implication de sa femme à l'instant où la Compagnie de la Lumière vient la chercher. Profitant de son statut de journaliste, elle fournissait des informations à l'Armée des ombres depuis des mois, sans lui en avoir jamais touché un mot. Ça explique son empressement à vouloir repartir loin, très loin, à reprendre leur vie d'avant. Pour qu'on ne la trouve pas. Ils n'ont pas le temps de s'expliquer, n'ont pas le temps de quoi que ce soit, à vrai dire. Il ne peut que la regarder partir alors qu'elle crie son nom et ceux de leurs enfants, et quelque chose se brise en lui. Cette déchirure en son âme, due à ses mensonges et à ce qu'elle lui cachait, mais surtout à leur séparation, ne se refermera jamais complètement.
10. Incapable de rester à Magix après toute cette affaire, dans leur appartement avec tout ce qui lui rappelle constamment Alanna,
Johan part avec ses enfants à Solaria, au milieu des vagues de réfugié·e·s dominien·ne·s. Les premières années sont les plus compliquées, à essayer de trouver un équilibre dans lequel il parvient à garder la tête hors de l'eau. Il travaille là où il peut, abandonnant l'écriture pour se laisser le temps de tout gérer. Le temps passe, les enfants grandissent, et ils y restent au total 13 ans. 13 longues années à se remettre de tout ça, 13 années durant lesquelles il parvient à faire publier quelques ouvrages à son nom, avant qu'Evania ne décide de faire sa rentrée à Alféa. A ce moment-là, il se dit qu'il est peut-être temps de repartir à Magix. Qu'assez d'eau a coulé sur les ponts. Il veut rester proche de sa fille, et son fils préfère changer de collège que d'être éloigné de sa sœur pendant l'année scolaire. Alors ils déménagent, encore une fois. Il a l'habitude. Ses enfants moins.
11. Choisissant la facilité,
Johan reprend un travail dans les galeries sapphrire, comme 13 ans auparavant, qui n'est qu'un job alimentaire. Tout ça l'ennuie et tue toute créativité en lui, qu'il tente de retrouver en passant du temps à la librairie. Le tout dure trois ans. Trois longues années qui lui semblent durer beaucoup plus, avant que le gérant de la librairie lui annonce quitter Magix sous peu. C'est l'occasion ou jamais. Avec les économies qu'il a, il reprend le bail et la franchise à son nom, s'entourant enfin professionnellement de ces bouquins qui lui plaisent tant. Il a encore du mal à écrire, mais ça revient, doucement. Ça se noue à ses souvenirs, à ces histoires qu'il racontait autour des feux de camps quand il avait encore vingt ans.
QUESTIONQuel impact la guerre a-t-elle eue sur votre famille, vos proches mais surtout, sur vous ?C'est la guerre qui les a séparés, qui a tout changé du tout au tout. Sans cette guerre, il serait encore certainement avec sa femme, au lieu de se retrouver à élever seul leurs deux enfants. Sans cette guerre, il aurait probablement continué de chercher ses origines, au lieu de faire une croix dessus, ayant trop de choses sur les épaules pour pouvoir se permettre de prendre le temps. Quand la Compagnie de la Lumière l'ont emmenée,
elle, il a hésité. Son corps était prêt à intervenir, mais sa tête l'a poussé à rester de marbre, à ne pas résister, ne pas lutter, ne pas prendre de risque. Ce qu'il n'a pas pu faire, c'est la quitter du regard. Jusqu'au bout. Et voilà qu'à cause de cette guerre, celui qui n'avait pas de camp, celui qui refusait de prendre parti pour la sécurité des siens se retrouve forcé à gérer sa famille seul parce que sa femme, elle, avait choisi son camp sans un mot. Et il ne sait pas qui il méprise le plus. Cette armée qui l'a séduite et qui l'a poussée à lui cacher tout ça, ou cette compagnie qui la lui a enlevée.