mixed emotions (flynn)

Un gémissement passe ses lèvres alors qu'il s'étire sur toute la hauteur possible, l'impression que plusieurs parties de son corps bloquent solidement ancrée. Il a fait passer ses derniers examens la semaine précédente et seuls ses élèves les plus motivés par le combat -  la bonne baston, comme ils s'amusent à l'appeler - répondent encore présent à son cours, alors il se lâche un peu plus, va plus loin avec eux, encore et encore, laissant leurs muscles particulièrement endoloris. Avec le soleil qui frappe l'arène en ce mois de Juin et la chaleur qui l'accompagne, chaque heure qui passe se fait plus compliquée que la précédente et il a sans cesse l'impression d'être déshydraté, mais ça fait quelques années déjà qu'il sait que c'est sur cette période de l'année scolaire qu'il s'amuse le plus, celle où il dépasse l'enseignement simple et basique, adapté à tous. Mais, amusé ou non, il est rincé, l'ancien militaire. A peine assis sur le siège passager de la voiture flamboyante de l'ancienne héritière de Domino, il lève vaguement un pouce en direction de cette dernière pour lui signifier qu'elle a tout le temps du monde pour son coup de téléphone. Là, il n'est pas près de bouger.

Sa tête reposant contre la vitre à côté de lui, il lève les yeux vers l'immense bâtiment qui les surplombe, un mélange de fierté et de crainte dans le sang quand il l'observe dans toute sa splendeur. La fierté de former ici ceux qui seront probablement l'élite des spécialistes, celle de se dire qu'il parvient, jour après jour, semaine après semaine, à les guider sur la voie qu'ils ont choisie. La crainte que tout ça ne soit pas suffisant et que personne ne soit prêt à temps pour ce qui les attend, quoi que ce soit. Il déglutit avec un peu de peine, se redresse, puis porte son regard sur son amie qui entre de nouveau dans l'habitacle. « Y a pas de soucis. » Elle est déjà bien sympathique de l'inviter pour boire un coup, il se voit mal l'emmerder parce qu'elle fait les choses à son rythme. Le monde sur la route ne le surprend pas vraiment, ils partent suffisamment tôt - ou suffisamment tard - pour se retrouver là en même temps que tous ceux qui quittent leurs bureaux et, face à l'impatience globale pour progresser dans la Capitale, l'Eraklien joue avec la radio le temps de trouver quelque chose qui leur convient à tous les deux, avant de pianoter de manière absente sur le rebord de la fenêtre.

« Je te préviens, j’ai rien rangé. » Flynn prend un air exagérément outré, le rire léger quand elle lui parle de sa femme de ménage et de son enfant, puis des risques pour sa voute plantaire. « Je ferai gaffe, mais te prends pas trop la tête pour le rangement. » Bordélique, est-ce qu'ils ne le sont pas un peu tous, quand ils sont petits ? Lui l'était, en tout cas, très clairement. Une véritable tornade, le genre de celle qu'on doit mettre à la douche bien trop souvent après ses après-midi passés dans le jardin à sauter et se rouler à mesure qu'il progresse dans les aventures qui n'existent que dans sa tête. Elle ouvre la porte de son appartement, l'invite à entrer et, alors qu'elle part ouvrir ses fenêtres, il lâche son sac dans un coin du salon, s'étirant une nouvelle fois. Nop, toujours bloqué. « Qu’est-ce que je te sers ? J’ai vraiment de tout. Du vin, de la vodka, du rhum, du gin… » Il s'apprête à lui dire qu'il la suit, qu'elle peut décider pour eux - il n'a jamais été très difficile de ce côté-là - , mais elle reprend de plus belle et allume une étincelle dans son regard. « Tiens, j’ai des bières aussi, tu sais celles qu’on buvait plus jeunes là ? J’ai eu un moment de nostalgie en commandant les courses l’autre jour. » « Sérieux ? Ça fait des plombes que j'en ai pas bu, bon sang. Vas-y, on part sur ça. De mémoire, c'était pas fabuleux, mais ça faisait le taff. » En tout cas, ça leur permettait de se détendre un peu après une journée de cours un peu dense, avant qu'ils se décident à lancer les festivités pour de vrai et à passer la soirée dehors. « J'avais complètement oublié que ça existait... » De la bière, il en boit toujours mais, maintenant qu'il peut se le permettre sans cramer l'argent que ses parents lui envoyaient et qu'il a pris de l'âge, il se tourne généralement vers quelque chose d'un peu plus qualitatif. « Je peux t'aider ? »

Elle refuse son aide et il hausse une épaule, n'insistant pas. À la place, l'ancien militaire jette un œil par la fenêtre pendant qu'Azura dépose tout sur la table basse, attirant son attention lorsqu'elle lui tend sa bière qu'il attrape sans se faire prier, un simple remerciement dans l'air. « A la tienne hein ? » Ils trinquent, et la première gorgée lui fait un bien fou. L'alcool n'est pas terrible, il a même clairement bu mieux que ça ces dernières années, mais les souvenirs que le goût de ce liquide-ci fait remonter à la surface sont plus importants que la qualité de la bière qu'il compte bien descendre ce soir. « Ça me fait plaisir de te recevoir, depuis le temps. » Il a envie de la taquiner, de lui dire qu'ils se voient peut-être suffisamment depuis qu'elle est devenue professeure, mais elle lui parle de leurs soirées d'antan et il ne peut qu'être d'accord. « M'en parle pas... » Ça doit bien faire une dizaine d'années qu'ils n'ont pas fait ça, et même celle-ci s'annonce bien calme en comparaison avec ce dont ils étaient capables à l'époque.

« Comment vas-tu toi, en ce moment ? » Il est vrai qu'ils ne parlent que peu d'eux-mêmes, entre les murs de la Fontaine Rouge, et que la question ne s'est pas réellement posée ces derniers temps. Pourtant, c'est bien en ce moment qu'elle serait la plus pertinente, avec tout ce qui se produit. Elle s'inquiète de la fin d'année, la fatigue évidente sur ses traits, et il étouffe le rire qui remonte jusqu'à ses lèvres d'une gorgée de bière. « J’ai l’impression de ne pas avoir vu l’année passer… Et pourtant, avec tout ce qu’il se passe… » Le rire laisse place à un soupir inquiet, le regard du spécialiste un peu perdu sur l'extérieur de l'appartement. « Ouais, c'est allé assez vite... » Trop vite, même. Chaque instant de calme s'est vu perturbé par quelque chose et, si le stress de fin d'année est normal, classique, même, cette fois-ci, il n'est pas simplement lié aux examens. « Au moins, on pourra bientôt tous laisser l'année scolaire derrière nous, ce sera déjà ça de moins en tête. » Il dit ça, mais il pense déjà à son programme de l'année prochaine, à ce qu'il peut modifier, comme à chaque vacances d'été, pour s'améliorer. « Mais va falloir t'y faire, bordel ou pas, dans tous les cas, tu finis sur les rotules... » Si ça ne fait pas ça à d'autres, qu'ils lui donnent leur secret, bon sang ! « Même si là, c'était carabiné... » C'est presque murmuré, c'est vite effacé par l'alcool. Quand il vient finalement s'asseoir aux côtés de l'ancienne héritière, c'est sans ménagement pour son canapé que Flynn se laisse tomber. « Mais dis-moi, tu m'as pas invité pour parler de la situation magixoise, si ? » Parce que ça, il en entend parler fréquemment. Il entend les chuchotements dans les couloirs, il voit le regard de ses étudiants durant ses cours, il sait dans quel état la ville est. Avec Joaquin, avec Nova, avec ses proches, il en discute. Il est fatigué de tout ça. « Moi qui pensais qu'on allait casser du sucre sur le dos de nos élèves, j'suis presque déçu... » Même le rire qui lui échappe est épuisé.